Photographie de libellule empereur par Tim Bekaert ; photo du papillon damier par Andrew Fisher ; photo du bourdon terricole par Rob Foster ; photo de Gelis agilis par Tibor Bukovinszky, avec autorisation

Les scientifiques lancent l’alerte à propos de l’impact du dérèglement climatique sur les insectes

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité Développement durable

Un consortium international de plus de 70 scientifiques vient de publier un article qui alerte sur les menaces que fait peser le dérèglement climatique sur les insectes, piliers du bon fonctionnement des écosystèmes. La synthèse parue dans le journal Ecological Monographs fait directement écho aux avertissements du GIEC sur les risques liés à l'augmentation rapide des températures moyennes du globe et l’intensification des événements extrêmes. Les scientifiques expliquent que si aucune mesure n'est prise, nous réduirons considérablement et définitivement notre capacité à construire un avenir durable basé sur des écosystèmes sains et fonctionnels. L’article formule plusieurs recommandations clés à adopter pour aider les insectes face au changement climatique. A la fois les pouvoirs publics, les scientifiques et l’ensemble des citoyens doivent être impliqués dans l'effort de protection.

Un constat édifiant

De par leur petite taille et leur incapacité à réguler leur température corporelle, les insectes s’avèrent particulièrement sensibles aux changements environnementaux comme la température et l'humidité. Le réchauffement dépasse déjà les seuils de tolérance de nombreuses plantes et animaux, entraînant la mort massive d’individus et la disparition de populations voire même d’espèces. Dans cet article de synthèse, les chercheurs expliquent la façon dont le dérèglement climatique module la physiologie et le comportement des insectes, avec des effets marqués sur les cycles de vie, la reproduction et la persistance des populations. En particulier, certaines espèces deviennent actives à des endroits ou des moments où elles ne l’étaient pas auparavant. D’autres espèces d’insectes au contraire s’éteignent localement. Cela conduit à des changements importants dans la structure et le fonctionnement des interactions entre espèces, avec des répercussions potentiellement graves sur la stabilité et le fonctionnement des écosystèmes, et par la suite sur la fourniture de services écosystémiques comme la pollinisation ou le contrôle des maladies. 

L’article de synthèse relate également les impacts majeurs des événements climatiques extrêmes sur les insectes, lesquels s’ajoutent aux conséquences du réchauffement global et ont des répercussions en cascade de plus en plus difficiles à gérer. Les chercheurs résument l’état des connaissances sur les effets de quatre types d'événements extrêmes, dont la fréquence et l’amplitude augmentent de façon alarmante : les vagues de chaleur ou de froid, les épisodes de sécheresse, les excès de précipitations et les incendies. Le constat est accablant, avec des effets instantanés et brutaux sur les populations d’insectes affectées. Bien que les effets à long terme de ces événements extrêmes restent peu explorés, les pronostics sont mauvais pour les nombreuses espèces qui n’ont pas les capacités de résistance et d’adaptation à de telles pressions environnementales.

insectes
Figure 1 : De nombreuses espèces d’insectes souffrent déjà de l’effet du réchauffement climatique et des événements climatiques extrêmes. (a) Par exemple, la libellule empereur (Anax imperator) s’est redistribuée vers le nord et des altitudes plus élevées en Europe depuis 2000 (Platts et al., 2019). (b) En Californie et au Mexique, le papillon damier (Euphydryas editha quino) qui demeure en danger d’extinction a réagi au réchauffement récent en se déplaçant vers des altitudes plus élevées et en abandonnant sa plante alimentaire préférée des plaines, une espèce de plantain (Parmesan et al., 2015). (c) De nombreux déclins récents d'insectes très vulnérables, tels que les bourdons terricoles (Bombus terricola), ont été attribués aux extrêmes climatiques, et en particulier aux vagues de chaleur (Martinet et al., 2015). (d) L'exposition aux vagues de chaleur peut avoir des effets importants sur la reproduction des insectes. Par exemple, la guêpe parasite Gelis agilis voit sa capacité à exploiter ses hôtes fortement altérée lors de ces événements de température élevée (Chen et al., 2019). Photographie de libellule empereur par Tim Bekaert ; photo du papillon damier par Andrew Fisher ; photo du bourdon terricole par Rob Foster ; photo de Gelis agilis par Tibor Bukovinszky, avec autorisation.

Quelles actions à grande échelle ?

Les chercheurs alertent : des actions urgentes et à plusieurs niveaux sont nécessaires pour conserver les insectes, à la fois dans une optique de sauvegarde de la biodiversité, de préservation des espèces emblématiques, et de maintien des activités humaines comme l’agriculture. L’action passe d’abord par les politiques publiques, à l’échelle des pays ou des continents. L'accord de Paris, ainsi que les COP 1 à 26, constituent un début prometteur, mais toutefois insuffisant.

Trois ingrédients sont essentiels à la survie des insectes face aux extrêmes climatiques : des refuges microclimatiques appropriés, l'accès à une source d'eau, l’accès à une source nutritive sans pesticides. De ce fait, les zones naturelles existantes doivent être strictement préservées, voire même étendues. Nous devons repenser l'agriculture, en mettant l'accent sur l'intensification écologique des systèmes de production, et en créant des patchs d’habitats naturels dédiés à l'atténuation des effets négatifs du dérèglement climatique. La préservation de la biodiversité, dont celle des insectes, repose sur un changement de cap dans divers domaines, notamment la réduction progressive de l'utilisation des combustibles fossiles, la protection des écosystèmes et la restauration de la biodiversité, le passage à une alimentation essentiellement végétale et l'abandon du dogme de la croissance infinie (dans une planète aux ressources finies) au profit d'une économie écologique et circulaire.

Que peut-on faire, à l’échelle individuelle ?

Bien que les actions ayant le plus d'impact soient celles mises en œuvre par les institutions dirigeantes, les décisions prises à des échelles plus petites par les individus ou les communes peuvent faire une grande différence pour la conservation des insectes face au dérèglement climatique. Par exemple, les bas-côtés des routes, les espaces verts publics et les jardins individuels constituent des habitats et des refuges importants pour les insectes. Ainsi, il est nécessaire d'investir dans la vulgarisation afin de promouvoir le rôle des insectes dans les écosystèmes auprès de tous types de publics, dont les enfants, et ce particulièrement dans les villes, où les effets des extrêmes climatiques sont souvent exacerbés. Les particuliers peuvent jouer un rôle important pour rendre les villes plus adaptées à la vie des insectes et des autres espèces végétales et animales. Les solutions sont généralement peu coûteuses et les scientifiques expliquent quelles actions pertinentes sont à mettre en place à l’échelle individuelle. Le jardin s’avère un bon endroit pour conserver des plantes sauvages et à fleur ou en implanter, même un rebord de fenêtre conçu de manière appropriée peut être adéquat. Le jardinage respectueux des insectes réduit l'empreinte carbone individuelle et nous récompense sous la forme de produits comestibles et d'une abondance florale, appréciée par les humains et leurs amis à six pattes.

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Les caractéristiques environnementales locales peuvent nuire aux insectes (partie gauche), notamment lorsqu'ils sont exposés à des conditions climatiques extrêmes telles que les sécheresses et les vagues de chaleur. Les paysages gérés de manière intensive ou l'urbanisation entraînent souvent une simplification voire une destruction des habitats, réduisant la diversité végétale et limitant ainsi l'accès aux ressources essentielles pour les insectes. Cela se traduit par une baisse de leur diversité et de leur abondance. Les stratégies écologiques de gestion (partie droite) peuvent remédier, même partiellement, à cette situation, par exemple en procurant des refuges microclimatiques, des ressources alimentaires, et en atténuant l'effet de différentes pressions environnementales (pesticides, pollution lumineuse, etc.), qui tendent à se cumuler avec l'effet des changements climatiques. Prêter attention à ces processus et agir à différentes échelles peut profiter à un large éventail d'insectes à différents niveaux trophiques et dans toutes les régions du globe.

 

Laboratoires CNRS impliqués

  • Ecologie et Dynamique des Systèmes Anthropisés (EDYSAN - CNRS / Université de Picardie Jules Verne)
  • Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte (IRBI - CNRS / Université de Tours)
  • Ecosystèmes, biodiversité, évolution (Ecobio - CNRS / Université de Rennes)
  • Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE - CNRS / IRD / Aix Marseille Université / Avignon Université)
  • Institut Sophia Agrobiotech (ISA - CNRS / INRAE / Université Côte d’Azur)

Objectifs de Développement durable

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  • Objectif 13 : Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques
  • Objectif 14 : Vie aquatique
  • Objectif 15 : Vie terrestre

Ce travail contribue à la synthèse des connaissances sur les menaces que font peser les changements climatiques sur les insectes, et constitue une alerte supplémentaire concernant la dégradation rapide de la biodiversité à l’échelle globale et ses impacts sur la production de services écosystémiques nécessaires à la survie des populations humaines.

Référence

Harvey J.A., Tougeron K., Gols R., Heinen R., et al. 2022. “Scientists’ Warning on Climate Change and Insects.” Ecological Monographs e1553. DOI: 10.1002/ecm.1553

Contact

Kevin Tougeron
Ecologie et Dynamique des Systèmes Anthropisés (EDYSAN - CNRS / Université de Picardie Jules Verne)
Jonathan Lenoir
Écologie et dynamique des systèmes anthropisés (EDYSAN - CNRS/Univ. Picardie Jules Verne)